« C’est à cette heure-là que tu rentres ? » « Quoi ? » « Aaron, est-ce que tu es ivre ? » « Ouais… peut-être. Probablement, si tu veux mon avis. » « Où est ce que tu étais ? Sois sûr que tu ne t’en sortiras pas comme ça en tout cas ! » « On verra bien… » « J’en parlerai avec ton père quand il rentrera, en attendant je veux que tu ailles te coucher. Tout de suite. » « Bien entendu, maman chérie. » « Change de ton avec moi, c’est clair ?! » Une énième menace allait passer les lèvres de madame Weinman, mais elle fut interrompue dans sa démarche éducative. Ce bip bip sonore et si caractéristique, elle soupira, tandis que son fils, lui, levait les yeux au ciel dans ce sourire sarcastique qu’elle lui connaissait bien. « On verra ça une prochaine fois. » « Je dois y aller, mais ne crois pas t’en sortir comme ça. » « Ouais, comme d’habitude. » Et en un rien de temps, elle avait filé, emmenant toutes ses affaires avec elle. Les appels constants de l’hôpital avaient le don d’handicaper grandement les tentatives éducatives que Claire Weinman pouvait avoir à l’égard de ses enfants. Enfin, à l’égard de Aaron plus précisément. Il était un peu le méchant garçon, celui qui aimait particulièrement défié l’autorité de ses parents, ceux-là même qui n’avaient pas le temps de le punir tant ils étaient bouffés par leur travail. Et quand ce n’était pas le travail, c’était les autres : Jordan ou Carter avec leur perfection bien à eux, Andrea ou même Phoebe qui avaient une bonne capacité à attirer toute l’attention sur elle. Oh, bien entendu, il n’y avait que Aaron qui était perçu comme le mouton noir de la bande, celui qui aimait bien lancer des vacheries à ses pauvres sœurs, celui qui provoquait parfois un peu trop son frère aîné. Que les choses pouvaient parfois être compliquées. Et pourtant, c’était dans ce milieu là qu’il était né, à Chicago, avec déjà des jumeaux comme aînés… à croire que même tout petit il avait été destiné à ne pas être le centre d’intérêt : il fallait toujours que les jumeaux soient difficiles à gérer parce qu’ils étaient deux. Ce soir là, encore une fois, Aaron était sorti en douce, comme il en avait si bien l’habitude. Dehors, il avait enchaîné les verres à une fête sans intérêt, pour draguer une fille sans intérêt, si ce n’est celui de faire péter un câble à ses parents s’ils devaient découvrir qu’elle passait la nuit dans la maison des Weinman. Comme les choses ne vont jamais assez loin pour Aaron, il ne lui fallut pas bien longtemps pour ramener en douce sa conquête d’une nuit avec lui, mais manque de bol, la pauvre fille définitivement sans intérêt, avait du partir avant même que ses parents à lui ne rentrent de leur fascinant boulot. Quelle vie. C’était la sienne, depuis toujours, dix-sept ans déjà à l’époque, qu’il vivait comme ça, qu’il donnait l’impression à tous de se foutre de tout. Tous les autres avaient tous leurs petites qualités pour compenser, lui il n’était que celui plein de défauts, et bizarrement, ça lui convenait assez bien comme ça : après tout, ses parents se contentaient de le détester, ils ne l’ignoraient pas, au moins.

« Alors, je souffre de quelque chose, docteur ? » « Hm, je pense qu’il serait bon de payer une auscultation pour tout ça. » « Faites donc docteur, je me sens patraque et j’ai besoin d’un avis de professionnel… » « Où est ce que vous avez mal ? » « Ici. » Dans une moue innocente, elle vint passer sa main dans le creux de son cou, esquissant un léger sourire alors qu’il suivait d’un regard lubrique son geste. « Je dois avoir un bon remède pour ça… » Un léger sourire au coin des lèvres, et voilà qu’il descendait déposer quelques baisers brûlants dans le cou de la jeune femme. Lentement, mais sûrement, remontant lentement la courbure de sa nuque pour arriver à son oreille avec délicatesse. Oh, il savait très bien en jouer avec les femmes, c’était un domaine dans lequel il excellait de plus en plus, avec les années. Après tout, il avait eu le temps de faire quelques bons exercices depuis pas mal de temps. Il la sentit frissonner, soupirer, haleter légèrement sous la caresse de ses lèvres, il en profita pour prolonger un peu ses baisers, laissant sa bouche dériver le long de sa gorge, puis dans ce creux significatif des plaines intimes de toute femme. Alors qu’il abandonnait là ce jeu bien amusant, elle le regarda un instant, profitant de ce moment intime comme pour chercher à mieux le connaître. Il venait tout juste de décrocher sa première année de médecine avec succès, chose bien rare pour l’homme qu’il semblait être aux yeux de tous. Un connard, ou quelque chose s’en approchant sacrément. « Pourquoi t’as choisi de faire médecine ? J’pensais que tu trouvais ça… nul ou j’en sais rien. » « Comment ça ? » « T’as toujours détesté tes parents d’être aussi peu présents, j’me demande juste pourquoi tu fais comme eux ? » « Va savoir. Ca m’intéresse. » « J’veux dire… Aaron, on se voit presque jamais… et j’avoue que parfois j’te comprends pas, d’autant plus que tu cherches pas vraiment à m’expliquer. » « Y’a rien à expliquer… j’ai rien à t’expliquer. J’fais ce que j’ai envie de faire, j’vais pas m’arrêter à ça. » « Et tu fais quoi par rapport à nous ? » « Nous ? » Elle le regarda avoir un léger sourire, puis un fin ricanement, devenant de plus en plus incrédule à mesure que son sourire presque aimant devenait rempli de… véhémence à son égard. « Andrea, y’a jamais eu de ‘nous’… y’en aura jamais. J’veux dire, sérieusement ? Tu veux quoi, te marier, avoir des mômes ? En plus un mec disponible ? Tu peux aller voir le plombier du coin, il s’intéressera peut-être à tes histoires chiantes à souhait. Mais commence pas avec ta morale là où y’a pas à en avoir. » « Tu sais pas ce que tu dis, Aaron. » « Au contraire, je sais très bien c’que je dis, c’est toi qui t’es voilée la face sur moi ou qui comprend rien à la vie, peu importe. » A mesure qu’il parlait, il venait de se redresser dans son lit, pour commencer à s’habiller et éviter si possible la potentielle crise qu’elle allait lui taper quand son cerveau aurait enfin fait tilt. « Mais… » « Mais quoi ? Dis voir tu comptes stagner dans mon lit à me regarder comme un merlan frit pendant encore combien de temps ? J’ai cours dans vingt minutes. » Elle venait enfin de capter, se relevant brusquement pour ramasser ses affaires, dans une dernière réplique cinglante. « T’es un connard, Aaron. » « Je sais. » Souffla-t-il bien que la porte venait de se claquer sur la jeune femme qui était déjà sortie, furibonde et frappée dans sa petite fierté. Aaron et les filles, c’était comme ça. Trop exigeant pour rencontrer la bonne qui sait… et au fond, cette situation ne lui déplaisait pas.

« Alors comme ça j’ai entendu dire que tu partais ? » « Oui… je m’en vais, Aaron. » « Quoi ça te revient pas d’être l’interne préférée du big boss ? Los Angeles c’est pas assez prestigieux à ton goût ? » « Si tu pouvais… éviter d’être un connard pour une fois. » « Qu’est c’que ça peut te faire ? T’as même pas le courage de m’annoncer toi-même que tu quittes mon service. » « Tu l’as appris, c’est le plus important. » « Tu crois ? » « Ouais je crois. Et c’est mieux pour nous deux. Surtout pour moi. » « Me fais pas cette histoire dans le mélodrame, si ça te déplaisait t’avais qu’à me repousser. » Alors qu’il avait parlé, cette fois-ci, comme dans une tentative folle, il était venu poser ses mains sur les hanches de la jeune femme, la fixant de son regard auquel rares étaient celles qui résistaient. « Laisse moi tranquille. » S’écartant de lui comme la peste, elle retourna à son rangement, vidant chacune des affaires de son casier dans ce sac de sport qui allait lui permettre de fuir. Brusquement incapable de supporter d’être pris au dépourvu de la sorte, d’être traité comme ça également, Aaron s’approcha à nouveau, pour lui attraper le bras avec cette brusquerie qui ne lui ressemblait pas. Qu’elle ne lui connaissait pas en tout cas, puisqu’elle ne put s’empêcher de sursauter de surprise. « J’pense que j’ai droit à quelques explications, non ? » « T’as le droit à rien du tout, c’était que du sexe nous deux, donc lâche moi. » La farce pas vraiment marrante de l’arroseur arrosé, il se retrouvait à sentir ses tripes se tordre sous la surprise alors qu’elle venait de parler. Tant de surprise qu’elle n’eut aucun mal à se défaire de l’emprise du jeune homme, pour finir de boucler ses affaires. « Mon père connaît un ami qui a pu me trouver une place… ailleurs. Loin de toi. » Le silence venait de s’abattre entre eux deux, tendu et douloureux, alors qu’il comprenait ce qu’elle avait sans doute déjà compris depuis un moment. Il avait besoin d’elle dans sa vie tout autant qu’elle avait besoin de le fuir le plus loin possible. Ils ne se reverraient jamais, parce que la vie leur imposait de s’oublier l’un l’autre. Il n’était pas fait pour être amoureux, il était bien trop con pour bien se comporter avec quelque fille que ce soit, malgré les papillonnements qui pouvaient agiter le bas de son ventre quand il se retrouvait à caresser la peau de cette fille, malgré son regard qui ne pouvait pas se détacher de cette fille. Cette vie pleine de niaiseries et de bon sentiment ne lui allait franchement pas, il faisait pitié à voir à présent, mâchoires crispées l’une contre l’autre au point de rendre ses dents douloureuses, regard perdu dans le vague, aucun mot, aucune remarque sarcastique pour sauver les apparences. Elle venait de le briser, littéralement, et il se retrouvait là, ridicule à s’effondrer intérieurement sans être capable de montrer quoique ce soit. Sans être capable d’avoir la moindre parole sincère pour la retenir. Il n’y avait rien de récupérable, rien de valable chez lui, et elle ne le savait que trop bien. C’est pour ça probablement, qu’elle ne lui accorda pas le moindre regard en sortant des vestiaires, en l’abandonnant là, au triste sort qu’était son existence, qu’était son être tout entier probablement.

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